bad girl

En me lavant les dents, avant d'aller me coucher, je réflechissais face au miroir qui lui faisait la même chose. Trois minutes. Avant, je lisais pendant le brossage, avec l'électricité, je n'y arrive plus, à lire pendant que je me lave les dents. Donc j'ai le temps de penser. Et j'avais la pensée triste. Je me résignais à accepter la réalité, qui n'est pas toujours très tendre. Et ce soir, la phrase qui s'inscrivait en lettres de néon dans le brouillard de mon cerveau était : "tu ne seras jamais une bad girl."

Je crois que j'aurais aimé être une bad girl dès le plus jeune âge. Je crois que j'aurais aimé ressembler à celle qui nous gardait l'été. Elle était belle, je pouvais l'accompagner au troquet du port, elle avait un magnétisme fort, je l'admirais. Elle avait quelque chose de Blondie, indéniablement. Une sacoche US, un pantalon à chevilles zippées, elle fumait des blondes, comme la paille de ses cheveux qu'elle devait peroxyder à l'eau oxygénée. Ce n'était pas avec son copain que j'avais fait mon premier tour de moto en rentrant de la plage, je crois que c'était l'été d'avant, mais elle devait en avoir du même accabit. Elle habitait près de Paris, et rien que cela sentait l'exotisme du fruit interdit.

J'aurais aimé faire le mur, et que cela ne passe pas inaperçu. J'aurais aimé souffrir démesurément pour de sombres inconnus. Je les ai toujours fuis ou ignorés. J'aurais aimé être une muse d'un poête maudit. J'ai été idolâtrée par un enfant de famille de Témoin de Jehovah qui photographiait mon dos en classe. J'aurais aimé être l'objet de convoitise, voire d'objet de rixes masculines. J'ai toujours cédé mes futures conquêtes possibles à ma meilleure amie. J'aurais aimé goûter aux substances toxiques, et accéder à certains paradis artificiels. Je n'ai pas aimé, ou je n'ai jamais eu l'occasion de tester. J'aurais aimé chanter dans un gluant groupe de rock amateur, et pas seulement faire la choriste pour une chanson sur la scène d'un gala provincial. J'aurais aimé rouler les cheveux au vent, le clope aux lèvres, les biceps tatoués sous un débardeur blanc taché de noir mécanique, j'ai passé mon permis pour rouler raisonnablement, casquée et de cuir vêtue. J'aurais aimé décorer ma peau de couleurs et de motifs, je l'ai percée avant d'y renoncer assez rapidement.

J'aimerais être une croqueuse d'hommes, une femme mûre qui, pendant que l'eau coule dans la douche sur le dos de l'homme à peine sorti des draps qu'elle continue d'apprécier, sourit en regardant son mobile, trois appels en absence, cinq messages textos, tous dans l'attente de celle qui leur fait tourner la tête. Je serai celle qui attend le retour de ses enfants, tard dans la nuit, égrenant les rythmiques des ronflements de son homme.

J'aimerais être une vieille dame indigne, qui emmerde les soignants et houspille les gentils personnels qui viennent lui tenir compagnie. Je ne serai qu'une grand-mère aigrie et acide, qui ne sait même plus faire la cuisine.

J'aurais aimé et j'aimerais être une bad girl.