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betty black
26 juin 2015

première fois

Je suis allée voir les gars dans leur atelier, là-bas, dans la périphérie, à vélo, où le métro ne va pas, c'est trop loin, mais pas pour moi. j'y suis allée avec mes chaussures blondie, ces escarpins à bout pointu en simili cuir argenté payés moins de 10 euros et que je réserve pour les jours de pluie. de la pluie était annoncée, et quand je suis partie, il pleuvinait légèrement sur les pavés, j'ai pensé, oh ! ça sera comme l'autre jour, de la petite pluie fine, une légère bruine, de l'été brumisé, pas la peine de prendre un équipement "grosse averse".

lorsque j'ai quitté l'atelier, il pleuvait. fort. et gros. j'ai attendu un peu. que cela cesse. et comme ça ne s'arrêtait pas, j'ai attendu un peu. que cela diminue d'intensité. et comme... je suis partie sous la pluie. je n'ai pas attendu longtemps pour être trempée, les vêtements transpercés d'humidité, les articulations des coudes noyées. plus le temps passait, plus je trouvais ça cocasse, j'avais décidé de rentrer me changer pour prendre la panoplie "à la pâche aux moules moules moules, je ne veux plus y aller maman !", je redoublais d'attention, les premières pluies, ça glisse, les gens ne pensent pas à la distance de freinage qui s'est allongée, et on y voit moins bien. j'ai regardé comme l'eau faisait mousser les flaques, à se demander quels produits ils mettent pour nettoyer les rues, je n'ai pas vu de trace irisée de pétrole séché sur le bitume, à croire que les moteurs sont plus étanches qu'autrefois.

sur le boulevard, je prends la piste cyclable. avant le croisement de l'avenue, il y a un feu piéton et un autre juste derrière pour une petite rue qui descend. je ralentis parce qu'il passe au rouge, les piétons s'engagent, je passe derrière eux, au ralenti, ne pas freiner brusquement, et anticiper déjà le prochain croisement, que je vais certainement passer aussi couleur cerise.

un piéton, vêtu d'un imper beige et portant un grand parapluie noir, déjà sur le passage piéton, se retourne, c'est un monsieur qui a atteint l'âge de la retraite, il a un regard dur et baisse devant lui son pépin et le brandit sur mon visage, j'évite la pointe, la toile tendue entre les baleines me touche, je récupère du déséquilibre en poursuivant ma route, je n'ai pas compris ce qui arrivait, j'ai eu peur, une grosse dose d'adrénaline m'a saisie, je suis choquée, je roule doucement en me répétant "ne pas répondre à la violence par la violence" "ne pas être atteinte par l'agressivité d'autrui" etc. etc. au feu suivant, je pose le pied, j'attends le passage de l'avenue. et puis soudain,
je suis prise d'une bouffée de colère, matinée d'un sentiment d'injustice et d'incompréhension, encouragée par une belle session de boxe le matin même, je me sens prête à en découdre, je n'ai pas les gants, mais je sens une telle fureur en moi que rien ne peut me faire mal, je suis hulk, je suis en rogne, je suis prête à tuer s'il faut, tout papi qu'il est, je ne suis qu'une faible femme, et je ne vais pas en rester là, en une demi-seconde, je suis passée de l'état de stupeur incrédule et de "qu'est-ce que j'ai bien pu faire de mal pour que ce type essaie de me planter la pointe de son parapluie dans l'oeil droit ?" à un état de rage et d'assurance en acier trempé "et tu crois que tu vas t'en tirer comme ça ?"
je fais demi-tour, je remonte l'avenue en biais, je retrouve le parapluie noir sur dos d'imperméable couleur mastic, je monte sur le trottoir, je double le piéton, il se sent frôlé, il a perçu une présence un peu trop proche, il me jette un regard surpris, et pour la première fois de ma vie, je crache, je crache de toutes mes forces un mollard qui n'est pas assez épais pour lui signifier tout le mépris que j'éprouve pour ce minable être, je crache à la gueule de ce monsieur avant de partir d'un bon coup de pédale sur l'avenue.
j'ai vu le crachat s'expulser de moi, je ne sais pas s'il a atteint sa cible, j'ai le coeur qui bat vite, mais j'ai en moi, le sourire qui est revenu.
j'ai entendu ses chaussures entamer une vaine accélaration derrière moi, je ne me suis pas retournée, pauvre type, reste donc là où tu es.

je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé.

je ne me savais pas capable de cracher.

 

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